dimanche 27 janvier 2019

Le GOLDEN GAI de SHINJUKU (新宿ゴールデン街) Pour boire jusqu'au bout de la nuit !




Mon idée première était de vous parler d’un quartier de Tokyo que j’affectionne tout particulièrement : le Golden Gai. Au fur et à mesure que j'ai progressé dans la rédaction de cet article, je me suis rendu compte que plusieurs films avaient pris pour décors ce quartier atypique. De plus j’ai également trouvé sur internet de nombreuses photos du lieu datant des années 50-60. Bref au final, mon idée de base s’est vu agrémentée d’un reportage iconographique Avant / Après!


Un bidonville ? Non le Golden Gai en plein centre de Tokyo ! (Source photo : Wikipédia)

Le Golden Gai se présente d’office comme l’exact opposé du reste de Tokyo ! Jugez plutôt : six rues si étroites que les voitures n'y passent pas, le lieu est un peu obscur, la chaussée est vaguement défoncée et d’une propreté parfois douteuse… Quand on sait que les maitres mots de la capitale nippone sont modernité et propreté, il y a forcément de quoi s'étonner ! Et pourtant le quartier est régulièrement pris d’assaut aussi bien par les Japonais que par les touristes ! Cette partie de la ville remporte un vrai succès populaire, les gens y affluent en masse séduits par l’ambiance chaleureuse et conviviale.

Situé à courte distance de la gare de Shinjuku, le quartier ne compte pas moins de 200 bars concentrés dans 6 ruelles étroites ! Aucun grand bâtiment ni grand monument à l’horizon, au contraire la plupart des établissements ne comptent qu’un étage (occupé soit par le petit appartement du propriétaire soit par un autre bar).
En parcourant ce quartier on peut imaginer le Tokyo pré-seconde guerre mondiale, miraculeusement épargnée par le temps, par les bétonneuses et par les tremblements de terre !

Petit florilège des bars les plus Rock'n'roll du Golden Gai !

Initialement le Golden Gai était avant tout un lieu privilégié pour la prostitution et le marché noir. Au fur et à mesure du temps, ces activités illicites ont toutes laissé leur place à des débits de boissons. 

De très petite taille, la plupart des bars ne font que quelques m2 et ont une capacité maximum d’une dizaine de personnes. Afin de se différencier de la concurrence acharnée du quartier, beaucoup de bars sont consacrés à une thématique précise : le Métal, le Punk rock, le cinéma (Japonais, Américains ou même Français), le Flamenco, etc…

La grande promiscuité ne dérange manifestement personne et contribue, au contraire, à la convivialité du lieu. Chacun peut fraterniser avec son voisin (Hey une fois bourrés nous sommes tous frères et nous parlons tous la même langue ! Hips !).
Du reste les rencontres y étant très faciles, ce n'est donc qu'une demie surprise de constater que de nombreux Love Hotels sont à proximité immédiate de cet endroit ! 



Bon après un tel descriptif vous allez me dire « Hey mais c’est l’endroit le plus cool de Tokyo ! » Euh, alors les choses sont, en réalité, un peu plus compliquées que cela… Tout d’abord son premier défaut (et non des moindres) est son prix ! Avec une telle concentration de pittoresques débits de boissons on s’imagine déjà faire la tournée des bars jusqu’à plus soif (si j’ose dire). Hélas, la plupart d’entre eux appliquent des droits d’entrée qui fluctuent entre 1.000¥ et 500¥ (soit environ 8€ et 4€) ces premiers étant plus fréquents que ces derniers. Donc faites le compte, si vous payez déjà 8€ simplement pour pouvoir commander dans un bar, vous aurez tendance à limiter le nombre de lieux fréquentés (ne serait-ce que pour rentabiliser les couts).
Bonne nouvelle heureusement certains établissements n’ont pas de « Table fees » vous pourrez donc y commander sans supporter de frais supplémentaires. Cependant, business is business, les tenanciers ont tendance à se rattraper en augmentant le prix de leurs boissons au détail ! On gagne d'un coté et l'on perd de l'autre...

Autre problème, tous les bars ne sont pas « Gaijin friendly » ! Traduisez, aussi incroyable que cela paraisse, certains bars pratiquent la préférence nationale au niveau de la consommation d’alcool !
Le discours politiquement correct étant « Le propriétaire du lieu ne sait pas parler Anglais et ne veux pas s’ennuyer à s’adapter à des gens ne parlant pas Japonais ». Le discours moins politiquement correct (mais à mon avis plus réaliste) est « Les étrangers dehors ! ». (je vous file mon billet que même si vous êtes bilingue le tenancier vous regardera quand même d’un sale œil, racaille étrangère que vous êtes !)
Dieux merci le nationalisme ne règne pas en maitre absolu sur le lieu et la plupart des établissements accueillent les étrangers et ont même une carte en Anglais !


"Foreigners Out" VS "Foreigners Welcome" choisis ton camp camarade !

Le lieu est intéressant à visiter de jour comme de nuit (de jour il a l’air un peu déshérité, avec ses faux airs de bidonville, mais il conserve son charme). Ce n’est cependant que le soir venu que l’endroit s’illumine et prend vie. Parcourir ses ruelles (bondées le weekend) est alors un véritable plaisir et l’on est sans cesse étonné par le romantisme du lieu et par la décoration incroyable de certains bars.

Vous n’aurez que l’embarras du choix pour déterminer dans quel bar vous allez rentrer. La meilleure méthode est sans doute de vous laisser guider par le hasard. A titre personnel je peux cependant vous conseiller deux de mes bars préférés :

- Le premier est l'un des plus « grands » (on se comprend hein) bars du coin, j'ai nommé l'ALBATROSS qui s’étale sur 3 niveaux. Le dernier étage se trouve directement sous les toits et offre une jolie vue sur le quartier !
Sa décoration, constituée d'un bric-à-brac hétéroclite, a des faux airs de bordel rococo tout à fait étonnant et amusant.

La déco légèrement surchargée de l'Albatross (avec ou sans ses ailes de géants).

- Enfin je vous conseille LA JETEE (en Français dans le texte). Ce minuscule bar situé au 1er étage est tenu par une cinéphile avertie, Madame Tomoyo Kawai, fan du cinéma de la "Nouvelle Vague". Du reste le nom du bar vient du  titre d'un film de Chris Marker (celui-là même qui a inspiré "L’armée des 12 singes" de Terry Gilliam).

La connaissance du cinéma Français (et du cinéma tout court) de Mme Kawai est très impressionnante (elle se rend au festival de Cannes tous les ans depuis des lustres). C’est l’endroit absolu où vous devez vous rendre si vous voulez parler de cinéma. D'autant plus qu'entre ses murs sont passés moult cinéastes : Léos Carax, Wim Wenders, Jim Jarmush ou Arnaud Desplechin, pour ne citer qu'eux.
En plus, fait incroyable, lors de ma venue la plupart des clients Japonais de l'établissement parlaient également Français ! (ceux qui connaissent Tokyo savent le miracle que cela représente). La propriétaire en plus d’être bilingue est extrêmement sympathique. Elle tient du reste son commerce depuis 1974 !
Mais nous en reparlerons un peu plus bas avec le film de Wim Wenders…

Finissons en beauté par une visite virtuelle du lieu (désolé la caméra tangue un peu, il faut croire que j'avais déjà commencé à boire !) 





Enfin pour l’anecdote sachez que le quartier comprend également un minuscule théâtre qui joue surtout des comédies.

Mais il est temps de passer à mon reportage Avant/Après :


TOKYO-GA de Wim Wenders (1985) :

Le réalisateur Allemand Wim Wenders n'a jamais caché son admiration pour le cinéaste nippon Yasujirō Ozu. Il lui a même consacré le présent documentaire.

Durant les années 80 Wim Wenders se rendit dans la capitale nippone (muni de sa caméra) à la recherche des traces du Tokyo filmé par Ozu. Cause perdue d'avance, puisque la ville telle qu'elle existait dans les années 50 a depuis longtemps disparu ! S'en suit donc une errance désenchantée dans la mégalopole nippone où le réalisateur traine son mélange ambiguë d'admiration et de déception.

Le paradoxe étant que, quelques 34 ans plus tard, force est de constater que le Tokyo de Wenders n'existe plus, lui non plus ! Véritable mise en abyme du temps qui passe, ce documentaire est une double éloge de la nostalgie et de la mélancolie. Nous regardons avec étonnement un homme cherchez quelque chose qui n'existe plus dans une ville qui a elle même disparu… 



0h30 : Ryū Chishū, l'acteur fétiche d'Ozu, vient s'incliner sur la tombe de son mentor.
La tombe du cinéaste dont j'ai déjà parlé dans mon article précédent consacré à "Voyage à Tokyo" se trouve à Kamakura.

0h35 : Le cinéaste promène sa caméra à travers le Golden Gai.
OZU
La même vue de jour et 34 ans plus tard. La plupart des bars ont changé d'enseigne (sauf le 10CC que l'on voit au fond. Les initiés comprendront la signification de ce nom...)

Wenders refilme le même plan du même endroit mais avec l'objectif qu'utilisait Ozu dans la plupart de ses films...

Je ne disposais hélas pas du même objectif pour ma caméra que le réalisateur nippon, je me suis donc contenté de zoomer !

0h56 : Wenders découragé par la pluie ne va pas au parc Disneyland (qui vient juste d'ouvrir ses portes à Tokyo) comme il l'avait prévu. En lieu et place il se rend dans un parc filmer des Rockers faire une démonstration de danse.
YOYOGI-KOEN
Le parc en question est Yoyogi-Koen. Si la pierre devant laquelle se tenait le Rocker existe toujours, elle a par contre manifestement été déplacée.

0h58 : "Hey garde en toi une Rock'n'roll attitude !"
A ma grande surprise j'ai constaté que, 34 ans plus tard, les Rockers sont toujours là, toujours au même endroit à danser de la même façon ! (et du reste vu leur moyenne d'âge, il n'est pas possible que certains d'entre eux aient été présents au moment du film !)

Be-bop-a-Lula !
N'oublions pas la bière !
1h02 : Retour au Golden Gai où le réalisateur nous présente un bar nommé "La Jetée".

Si les changements de propriétaires semblent être de mise au Golden Gai la Jetée, elle, reste imperturbable (à droite sur la photo).
La porte du plus francophone des bars Tokyoïtes !

1h02 : Nous rentrons à l'intérieur du bar.

De nos jours le lustre est toujours là (ainsi que la décoration). Notez la jolie collection de K7 audio.

1h03 : Le cinéaste trouve un accueil chaleureux !
De nos jours l'accueil Mme Kawai est toujours aussi amicale !

"Chris Marker comme tous les photographes n'aiment pas être pris en photo, mais aujourd'hui il risque un œil"
Chris Marker n'était pas là lors de ma venue au bar, il s'en excuse, vous vous contenterez donc de l'escalier du bar.



LE VAURIEN ( 無頼 より 大幹部 Burai yori daikanbu. Titre Anglais : OUTLAW GANSTER VIP) de Toshio Masuda - 1968

Ce long métrage surfe sur la vague des films de Yakuzas. Il déclinera sur 6 films les aventures de l'anti-héros Goro.
Le film commence alors que le personnage principal sort de prison après avoir purgé une peine de 3 ans pour avoir poignardé l'homme de main d'un clan rival, les Aokis. Une fois libéré Goro a la surprise de découvrir que son clan est en plein déclin alors que l'homme qu'il est supposé avoir tué est encore vivant… 


Un groupe d'hommes émerge du Golden Gai et s'apprête à traverser la voie ferrée.
La voie ferrée (Toden streetcar) à l'entrée du Golden Gay (face au sud) a été fermée en 1970 au profit d'une version sous-terraine : la Fukutoshin line. En 1974 une promenade boisée longeant le Golden Gai a pris sa place : 新宿遊歩道公園四季 alias Shinjuku Promenade Park "Four seasons Pathway"
Petite parenthèse dans ce film avec cette photo datant des années 70. On reconnait à droite le bâtiment noir, avec la croix sur sa devanture, marquant l'entrée du Golden Gai.
Le bar Champion a remplacé le "bâtiment à la croix"

Goro longe la voie ferrée et rentre chez lui.(Montage de deux plans du film trouvé sur internet. Source : Tokyofiles).
Nous éloignons ici du Golden Gai tout en restant à Shinjuku. La voie de chemin de fer (aujourd'hui disparue) est la même ligne de tram Toden que nous avons vu précédemment.
Goro retrouve sa maison (elle était déjà visible sur l'image du film précédente).
Surprise! De nos jours sa maison a purement et simplement disparue !

Devant sa maison Goro retrouve son ami.
Le tram ayant été supprimé dans les années 70 (soit après le film) tout le voisinage a été détruit dans la foulée. On ne reconnait que le passage souterrain qui, lui, est resté en place.

Le tram Toden passe...
… puis s'en va !
Le carrefour est désormais totalement méconnaissable, à l'exception du passage souterrain.

Retour vers le Golden Gay en faisant un léger détour vers un hôpital de Shinjuku.
L'hôpital Ōkubobyointo a été totalement reconstruit depuis le film.

Une course effrénée à travers Tokyo commence ici.

Parmi les modifications entrainées par la disparition de la ligne Toden la plus notable est la création du "Shinjuku Promenade Park". Cette promenade boisée entoure littéralement deux cotés du Golden Gai. Nous nous dirigeons ici en direction de la sortie Sud du Park.

Course poursuite… Suite.
Le Shinjuku Promenade Park à nouveau en direction de la sortie Nord-Est (En clair la photo précédente a été prise après ce virage et nous nous avançons dans la direction opposée).
Le coureur de fond quitte à présent la Shinjuku Promenade Park.
L'entrée Nord-Est du Shinjuku Promenade Park.

Dans un joli plan-séquence l'acteur continue sa folle course (la vache il a quand même parcouru une petite distance, j'espère pour lui qu'il n'a pas dû faire plusieurs prises )
De nos jours le panorama a totalement changé ! La sortie du Golden Gai est au bout de cette rue, mais à part cela, plus rien ne subsiste !

L'acteur continue de longer la voie ferrée et passe à coté du garage Ōkubo (que l'on voit sur la gauche).
A l'instar de tout le reste, le garage Ōkubo a été détruit dans les années 70.

Le personnage termine son sprint devant la maison de Goro ! La boucle est bouclée nous avons rejoins notre point de départ.
Le mur qui longeait la maison de Goro, bien que plus bas que dans le film, est encore là !

Tout ce qui rentre doit sortir en jour ! Nous voyons donc l'acteur parcourir l'allée dans l'autre sens.
La maison de Goro se situait au fond du terrain à droite.



PHOTOGRAPHIES DU GOLDEN GAI :

Dernière partie de
mon article regroupant une série de photos prises dans ou autour du Golden Gai (avec une petite incursion du coté de la gare de Shinjuku).

Une ruelle du Golden Gai datant probablement des années 60.
Ceci est la première ruelle du Golden Gai lorsque l'on arrive de Kabukicho. Notez que les réverbères sont toujours en place depuis les années 60 !

Années 60, suite avec cette vue des désormais familiers trams Toden.
L'entrée du Shinjuku Promenade Park en direction du Sud (soit l'entrée principale lorsque l'on arrive du Kabukicho).

Point de départ des Trams de Shinjuku. A noter que celui-ci a pour destination Akihabara.
Yasukuni dori, l'avenue longeant Kabukicho. Comme bien souvent à Tokyo, si vous voyez une avenue avec un terreplein central, vous pouvez être sûr qu'il s'agit d'une ancienne voie ferrée. La preuve en image.

Sensiblement la même vue que précédemment mais version couleurs.
Yasukuni dori suite et fin avec le pont de la Yamanote line dans la perspective.


On joue maintenant les prolongations avec, pour conclure, une série populaire au Japon de 1969 à 1970 : "五番目の刑事" que l'on peut traduire par "Le cinquième détective". Ne me demandez pas de détail sur cette série, je ne l'ai jamais vu ! Elle ne doit sa présence ici qu'au fait qu'elle a été tournée à 3 reprises au Golden Gai.


Revoici les fameux trams (peu de temps avant leur mise au rebut) 
Comme vu précédemment nous sommes en plein milieu du Shinjuku Promenade Park en direction de sa sortie Nord-Est. Notez que cette fois-ci l'on reconnait les fenêtres de l'immeuble faisant angle.
L'un des protagonistes de la série "Le 5ème détective" longe la voie ferrée.
Le quartier a été "légèrement" remanié ces 49 dernières années ! L'entrée du Shinjuku Promenade Park est à gauche à côté des affiches pour les chanteurs de K-Pop.

Le personnage principal de la série va t-il d'un cœur léger se saouler au Golden Gai ?
En tous cas si lui n'y va pas, moi j'y vais de ce pas ! A la votre les enfants !